Retour sur la résidence d’architecture à Wildenstein !
Avec le témoignage de Laura Kwiatkowski, Ludovic Marinoni, et Frédéric Monin-Guenot
Mercredi 9 février, nous rencontrons Laura Kwiatkowski (Communauté de Communes de Saint-Amarin), Ludovic Marinoni (Maire de Wildenstein) et Frédéric Monin-Guenot (Parc Naturel Régional des Ballons des Vosges) pour revenir sur la résidence issue de la démarche « Pour de nouvelles ruralités » qu’ils ont co-portés sur la commune de Wildenstein. Discussions sur les bienfaits et les limites du format résidence, de l’accompagnement d’un assistant à maîtrise d’usage (AMU) avec l’équipe lauréate : Atelier NA, Mayker Architectes et BOMA – Les BOnnes MAtières.
Le contexte du projet
La friche industrielle de l’ancienne industrie textile de Wildenstein attend là, depuis bien des années. Depuis son acquisition par la Communauté de Communes, la mairie s’est impliquée pour contribuer à lui donner un second souffle, et surtout sauvegarder les bâtiments encore en état, avant que les intempéries ne viennent définitivement clore tout espoir de retrouver une activité dans cet immense complexe. Mais que proposer dans cette gigantesque friche qui engageait à l’époque plusieurs centaines d’ouvriers et d’ouvrières alors que le village ne compte désormais plus qu’une grosse centaine d’habitant.e.s ? Comment ne pas proposer une réponse déconnectée des réalités ? La réponse s’articulera autour d’une donnée principale : Les ressources locales, qu’elles soient humaines et matérielles, naturelles et de réemploi, cachées et connues. La forme : une résidence d’architecture. Pour en savoir plus sur le projet et les outils déployées : c’est ici ! Nous partageons dans cet article certains points clés de nos échanges afin d’apprécier les bénéfices mais aussi les limites de l’inclusion habitante lors d’un projet court de résidence architecturale.
La résidence architecturale : un outil d’exploration des possibles avec les habitant.e.s
A l’initiative, les parcs naturels de la Région Grand Est lancent un projet de recherche-action sur les territoires ruraux « Pour de nouvelles ruralités » avec un livre blanc, et surtout une première salve de résidences, organisées au sein des 6 parcs. Frédéric Monin-Guenot, responsable du Pôle Urbanisme et Aménagement au Parc naturel régional des Ballons des Vosges (PNRBV) nous parlent de ce format :
« C’est un format intéressant. Cela fait venir des métiers qui ne sont pas identifiés au quotidien sur les territoires ruraux pour les mettre en lien avec les habitant.e.s. Et c’est aussi un format court, pour avoir un point de vue professionnel sans se restreindre ou rentrer dans des considérations trop techniques. ».
Pratique reconnue et fréquemment utilisée par le PNRBV, elle est moins connue par les communes rurales comme Wildenstein, et c’est tout l’intérêt selon lui.
« Le format de résidence est innovant en cela qu’il permet que les choix ne soient pas fait uniquement par un petit groupe de personnes, à la mairie par exemple, mais permet d’impliquer tout le monde. » nous confie Ludovic Marinoni, maire de Wildenstein.
Pour l’équipe lauréate, c’est une chance de déployer leurs valeurs et compétences sur des sujets peu traités, des sites atypiques. Les résidences ne posent pas les mêmes contraintes que des projets classiques. Ils permettent de se libérer et d’utiliser les compétences professionnelles dans leur ensemble. Que ce soient celles d’architectes, d’ingénieur.e.s ou d’assistant.e.s à maîtrise d’usage.
Laura Kwiatkowski le dira elle-même :
« L’AMU est une pratique souvent bâclée car le temps est manquant. Ce temps est pourtant nécessaire. Les résidences permettent de prendre ce temps. ».
* La réponse : un collectif pluridisciplinaire autour d’un outil de co-conception
« Notre attente était de répondre à un besoin local, savoir s’il y avait un enjeu à se projeter sur la friche, mais aussi à répondre à des problématiques communes aux territoires ruraux : se servir des potentiels pour éviter l’artificialisation, augmenter l’attractivité des territoires, réutiliser l’existant, relocaliser des activités pour faciliter les mobilités et redynamiser l’économie locale. »
expose Frédéric Monin-Guenot au sujet de la démarche de la résidence. La réponse proposée sera à l’image de l’équipe, pluridisciplinaire, transversale et inclusive.
En premier lieu, l’équipe a réalisé 3 diagnostics : diagnostic sensible auprès des populations de la vallée, diagnostic ressources locales et bois, pierre et textiles locaux et diagnostic réemploi sur l’ensemble de la friche. Sur la base de ces informations, l’équipe a mis en place un outil de co-conception ludique sous forme de jeu de cartes. Les habitant.e.s étaient ensuite invité.e.s lors d’ateliers encadrés par les représentants de chaque structure du groupement, à proposer à partir de ces éléments, des rêves de programme et des pistes de projets, dans le temps et dans l’espace de la friche.
Ces propositions seront ensuite compilées dans un livrable final, annotées par les membres du groupement, que ce soit en estimation de coûts et de temps, ainsi que les étapes à privilégier pour les mener à bien. A la toute fin, les acteurs et actrices du projet, les participant.e.s et les élu.e.s locaux ont pu assister à une restitution présentant le résultat final du livrable, ainsi que les différents outils mis en place : les diagnostics, questionnaires, maquette et surtout l’outil de co-conception utilisé : le jeu de cartes.
Celui-ci a permis de canaliser les différents remarques des usager.e.s et habitant.e.s interrogé.e.s et de cadrer les participant.e.s des ateliers vers un processus de mise en commun pour faciliter la conception partagée.
La place de l’habitant.e et le récit de vie comme outil de co-conception
La place de l’usager. e et de l’habitant.e a donc été dans le projet prépondérante. Le livrable final de la résidence est une liste de projets proposés par les habitant.e.s ayant participé aux ateliers, à partir du jeu de cartes élaboré. Ce jeu a été l’oeuvre conjointe de l’AMU et d’acteur.rice.s et d’habitant.e.s de la vallée.
Ces projets ont ensuite été présentés tels quels, simplement commentés par l’équipe de professionnel.le.s lauréate. C’est le premier point qui a surpris les participant.e.s : « Savoir que même les propositions les plus extravagantes ont été mises dans la présentation, ça me rassure sur le reste de la démarche.
Notre parole a bien été transmise » nous a livré une des participantes au sujet d’un projet de club échangiste dans le village lors de la présentation finale. Ce sont les ateliers de co-conception organisés sur deux week-ends qui ont permis d’élaborer toutes ces propositions.
« Le niveau d’échange et de discussions était très élevé. Je suis surtout surpris du temps que les gens ont accordé à ces ateliers. Certains sont venus sur une après-midi complète, voire plus et ont ramené du monde pour le second atelier. Qu’ils aient souhaité contribuer à cette hauteur, c’est bien. » commenta Frédéric Monin-Guenot au sujet des ateliers. En amont, l’équipe s’est démenée à extraire des diagnostics les informations les plus exploitables sous forme de cartes à jouer pour nourrir au mieux les cerveaux des participant.e.s.
Du diagnostic sensible, ce sont les ressentis, les expériences et les savoirs-faire des personnes interrogées qui ont pu fournir la matière nécessaire. Certaines cartes étaient même directement des citations : « L’air pur de la vallée m’a été conseillé par mon médecin »,
« On emmène le voisin faire ces courses de temps en temps, il n’a pas le permis », ou encore « Ici, on a la culture de l’autarcie, on a l’habitude de faire nos courses qu’une fois par semaine, de ne pas avoir de pain frais tous les matins ».
L’AMU : une démarche pour déverrouiller les contextes trop complexes.
L’objectif de la résidence était clair : Ouvrir le champ des possibles sur un site complexe, qui semblait hors d’échelle. Partir des ressources locales pour se raccrocher à une échelle adaptée s’est imposé comme la solution la plus juste. De fait, cela implique de prendre les expériences des acteur.rice.s et habitant.e.s comme source de conception et de composer avec eux le devenir du site.
« Pour ma part, ce qui a le plus changé, c’est de savoir que le site a un intérêt pour les gens. Ce n’est pas qu’un point à retraiter dans le paysage de la vallée, mais c’est quelque chose qui porte un bout d’histoire, de la commune, et qui a encore une place dans l’imaginaire et dans la mémoire collective. » ajoute Frédéric Monin-Guenot. « On défend depuis longtemps l’association des usager.e.s pour que les porteurs de projets ne tombent pas dans le piège d’un programmation automatique, et une démarche de conception orientée par une image architecturale ».
« J’avais des idées, mais ma vision a un peu évolué, voire beaucoup évolué » confie Ludovic Marinoni. « C’est tout simplement parce qu’on a parlé avec d’autres personnes. Si on faisait un autre atelier, ça changerait encore ».
La qualité des propositions émises par les participant.e.s a été plusieurs fois saluée. Celles-ci furent souvent pertinentes et accompagnées d’argumentaires économiques, techniques ou politiques éclairés. L’implication des participant.e.s à la question de la réhabilitation du site, grâce au lien affectif qu’iels lui portent, et enrichi par le contenu des cartes, a permis à toutes et tous de se prendre au jeu.
« J’ai toujours été convaincu qu’il fallait intégrer les habitant.e.s aux projets de la ville. » explique le maire de Wildenstein. « Mais l’intérêt est d’intégrer aussi les futur.e.s usager.e.s. On souhaite associer des artisans en amont du projet pour faire un équipement qui soit vraiment adapté ».
Pour cela, le diagnostic sur les ressources locales réalisé auprès des professionnel.le.s de la zone a permis d’enrichir le jeu de cartes de cet avis usager « artisan ».
L’AMU : une démarche pour impliquer habitant.e.s et élu.e.s
Si l’intervention d’un AMU a permis une meilleure compréhension des enjeux locaux et l’exploration d’un plus grand nombre de pistes, cela a eu un autre aspect positif qu’explique Frédéric Monin-Guenot :
« C’est un outil hyper efficace pour débloquer une situation de projet qui n’obtiendrait pas l’adhésion des élus. Dès lors qu’ils voient l’adhésion des habitant.e.s, ça rassure les élus. ».
En effet, si le projet est aujourd’hui remonté en priorité du côté de la Communauté de Communes, c’est notamment après avoir senti l’engouement des participant.e.s et des habitant.e.s présent.e.s à la restitution.
« J’ai vu au rendu des gens qui ont participé aux ateliers. J’ai bien aimé ce lien au projet, essentiel si le projet n’est pas bien défini, car il peut être une impulsion lors de la suite des évènements. Le duo mis en place entre politique et citoyens qui se saisissent du projet est la recette pour faire de beaux projets » conclue Laura Kwiatkowski
Cependant, tous s’accordent sur un point d’attention important :
« L’association des habitant.e.s dans les projets, nous l’a défendons depuis longtemps, mais c’est un outil à double tranchant. Si la démarche n’est pas portée jusqu’au bout, ça peut dégénérer en frustrations. ». « Transcrire la parole des habitant.e.s et les associer rassure les élu.e.s qui voient une bonne adhésion. Il faut cependant être conscient que si on associe les habitant.e.s à un projet, soit on a la capacité de les associer tout au long du projet, y compris aux étapes de décision pour être transparent sur le processus, soit il ne vaut mieux pas mettre le doigt dedans, car ça peut devenir contre-productif. ».
Cette crainte est partagée par le maire de Wildenstein, qui s’interroge :
« Comment on enclenche la seconde vitesse ? Et est-ce que les idées des habitant.e.s seront réellement prises en compte ? Est-ce que dans trois ans, les gens verront leurs contributions ? La plus-value est réellement forte, mais à confirmer dans le temps long. »
« Si on continue le projet avec les habitant.e.s, il y aura une partie de pédagogie qui peut être chronophage. Ca pourrait être une proposition technique de notre part, mais malheureusement, c’est souvent la première ligne qui part quand on a un budget strict. » nous explique Laura Kwiatkowski.
Pour conclure, c’est avec espoir que l’entretien s’est clôturé, l’étape de sauvegarde du site ayant commencé récemment.
« Je n’étais pas inquiet » avoue Frédéric Monin-Guenot, « Ce n’est pas le premier site comme celui-là que l’on accompagne. Je crois que la résidence aura apporté cela de positif, au regard de ce qui a été produit, qu’on est passé d’un site perçu comme une ruine juste bonne à renaturer, à un site en devenir. ».
Pour Laura Kwiatkowski :
« La friche devait être réhabilitée, on n’imaginait pas la détruire. La résidence a permis de préciser la manière de le faire, et le contenu en créant des ouvertures. Il y a maintenant un travail d’appropriation du travail réalisé et de persuasion des acteur.rice.s à faire. ».
« La grande majorité des gens sont satisfait.e.s d’avoir participé, et de savoir que leurs avis ont été pris en compte et intégré au projet. » conclura Ludovic Marinoni.
En attente de voir la suite des évènements pour écrire cette nouvelle page de l’histoire du site industrielle textile de Wildenstein.
- AMU = L’Assistance à Maîtrise d’Usage est une approche de conception qui place les usager.e.s, utilisateur.ice.s, habitant.e.s, citoyen.ne.s au centre du processus d’élaboration d’un projet. Elle mobilise des compétences variées, issues des sciences humaines et sociales, de l’éducation populaire, de l’architecture, de l’animation, du design, …
A noter dans votre agenda
- Les JPO en Alsace et dans les Vosges – 1er et 2 octobre : Week-end au coeur de la transition sur l’écolieu Ma Terre (Evénement en préparation).
- After-work : « l’AMU, une ressource au service des projets » – Lundi 3 octobre à 17h
à la Maison Citoyenne : pour les convaincu.e.s (et pas) que les habitant.e.s sont des ressources aux projets. - Forum de l’assistance à maîtrise d’usage – samedi 19 novembre 2022 : Le forum se déroulera en Alsace. Un événement de promotion des pratiques d’AMU à destination prioritairement des élus (et des agents qui les accompagneraient). A diffuser largement dans vos réseaux !